Sushi végétarien (Photo: Chris White)

Le Japon végétarien

Une chronologie

Sushi végétarien (Photo: Chris White)
Camille Lé   - 7 min read

Vous devez vous demander pourquoi un pays qui entretient des liens si étroits avec le bouddhisme considère pourtant le végétarisme comme une idée inhabituelle. Des références historiques au Japon d’autrefois décrivent comment l’homme chassait la viande pour sa survie, et expliquent que les anciens souverains appréciaient la chasse sportive. En 538, les dirigeants du royaume coréen de Baekje firent découvrir le bouddhisme à l’Empereur japonais Kimmei. Il y eut beaucoup de différends et de conflits pour savoir si, oui ou non, une religion étrangère devait être acceptée dans le pays, étant donné la croyance shinto des Japonais.

En 593, le prince Shotoku, bouddhiste fervent, fut nommé Prince régent par sa tante, l’impératrice Suiko. Il institua le bouddhisme comme religion d’Etat, espérant en faire un facteur d’unité et un bienfait pour le pays. Après sept Empereurs et Impératrices au règne très court, Tenmu devint Empereur, et dans les trois ans suivant son intronisation, il bannit la consommation de viande, au nom de la croyance bouddhiste selon laquelle les êtres humains peuvent être réincarnés en animaux. La consommation de poisson ne fut pas rendue illégale bien qu’elle fût toujours mal vue par les enseignements bouddhistes.

L’ère Asuka de 552 à 645 vit l’introduction du lait et des produits laitiers au Japon, accompagnant l’apparition des premières fermes et des pâturages à travers le pays. L’un des aliments favoris de l’époque est le Daigo, une sorte de produit fromager à base de lait caillé. Mais même avec la progression de l’élevage, manger de la viande restait illégal. Pendant l’ère Kamakura de 1185 à 1333, les consommateurs de viande encouraient une sanction de cent jours de jeûne.

La viande fut réintroduite avec l'arrivée des premiers étrangers au Japon. Les missionnaires chrétiens du Portugal et des Pays-Bas apportèrent leurs propres coutumes et régimes alimentaires : les Portugais importèrent notamment la tempura, qui demeure un mets très apprécié dans le Japon d'aujourd'hui. Les seigneurs du Sud du Japon se convertirent au christianisme et commencèrent à manger du porc et du bœuf. Aussi, avec la popularité grandissante de la religion chrétienne, la consommation de viande devint elle aussi, petit à petit, de plus en plus populaire.

Toutefois, avec la fondation en 1615 du shogunat Tokugawa, dernier gouvernement féodal militaire du Japon, un ensemble de croyances bouddhistes fut rétabli. Le cinquième shogun réinstaura l’interdiction de manger de la viande en 1687. A l’époque, non seulement la consommation de viande était illégale, mais aussi le fait de tuer les animaux. Cependant, les chasseurs japonais continuèrent à se rebeller contre ces lois – vivant dans des villages au sommet des montagnes, ils continuaient à vendre de la viande aux locaux et dans les marchés des ville. En 1760, dans le quartier de Kojimachi à Edo (l’ancienne Tokyo), il existait un certain nombre de boutiques vendant de la viande (par exemple du cerf, de la loutre ou du sanglier). Sous le huitième shogun Tokugawa Yoshumune, le lait et les produits laitiers revinrent à la consommation après que les Néerlandais eurent offert trois vaches blanches indiennes aux Japonais, en 1727. Le nombre de vaches augmenta rapidement, et, au commencement de l’ère Meiji en 1868, on en dénombrait plus de cinq cents dans tout le pays.

Avec le resserrement des relations économiques et commerciales avec l’Occident, l’Empereur Meiji organisa une fête pour le Nouvel An 1872 pour impressionner ses amis et associés étrangers. On mangea de la viande en public pour la première fois en mille ans. Un rapport public annonça que l’Empereur appréciait les plats à base de bœuf, et bientôt il devint habituel de contenter les Occidentaux avec de la cuisine française. En voyant l’Empereur manger de la viande, le tabou de la consommation de celle-ci fut levé. Après la Seconde Guerre Mondiale, la cuisine occidentale était vue comme un signe de modernisation, et sa popularité continua de grandir. Cependant certains observateurs blâment le « lavage de cerveau » suivant la Seconde Guerre Mondiale, qui promeut la popularité de la viande, ce qui aurait conduit à la situation actuelle du pays.

Le Japon moderne

Progressivement –très progressivement- la tendance végétarienne est à la hausse, peut être sous l’influence occidentale, ou à cause de la prise de conscience grandissante des droits des animaux. Mais plus les restaurants et cafés végétariens fleurissent, et plus les établissements non végétariens commencent à proposer des options pour les végétariens. Aujourd’hui bien que la reconnaissance du végétarisme soit toujours un combat, c’est un signe que les choses s’améliorent. Le mot « végétarien » semble créer une confusion dans l’esprit des Japonais – beaucoup d’entre eux ne comprennent pas ce qu’il signifie. J’ai trop souvent entendu des histoires de serveurs posant des questions comme « Végétarien ? Mais vous mangez toujours du poulet n’est-ce pas ? » ou « Mais le poisson c’est possible ? ». La majorité des repas que vous pensez être végétariens, et qui doivent l’être, sont en fait probablement servis dans des stocks de poissons ou saupoudrés de copeaux de bonite. Beaucoup de végétariens qui visitent le Japon ou qui y vivent diront qu’il n’y a pas moyen de contourner le problème : soit on mange du poisson soit on ne mange rien. La meilleure chose que vous pouvez faire, bien que ce ne soit pas toujours possible, est de traquer les restaurants exclusivement végétariens/végétaliens et de leur donner votre soutien : plus ils sont populaires et plus il y a des chances qu’ils se développent à travers tout le pays ! Et surtout retenez bien ceci : "Saishoku shugi-sha desu !" (Je suis végétarien !)

Camille Lé

Camille Lé @camille.le