Les larmes inondaient ses joues et il reniflait discrètement. Autour de nous retentissaient les exclamations de joie des spectateurs et les crépitements incessants des appareils photos. Ses sanglots silencieux me touchaient droit au coeur, et j'en fus presque ému aux larmes. Le vieil homme pleurait avec son coeur, en fixant intensément le Kanji flamboyant qui brillait au sommet du Daimonji.
C'est à ce moment que j'ai véritablement compris la signification profonde du Gozan no Okuribi.
Je m'étais bien sûr renseigné sur l'événement avant de m'y rendre, et mon ignorance avait laissé place à un vague intérêt à l'idée de voir des signes chinois et des symboles géants brûler au sommet des montagnes. J'étais surtout intéressé par les superbes photos que j'allais pouvoir en tirer. Mais il y a quelque chose de beaucoup plus fort dans le Gozan no Okuribi.
La tradition du Gozan no Okuribi remonterait au 13e siècle. Elle a lieu chaque année, le 16 août, pour marquer la fin du Festival des Ancêtres (Obon Matsuri). L'événement est surtout connu pour les gigantesques feux allumés au sommet de chacune des cinq montagnes qui entourent la ville de Kyoto.
Sur chaque montagne, le feu prend la forme d'un Kanji (caractère chinois utilisé dans l'écriture Japonaise), d'un bateau, ou d'un Torii (portes rouges des sanctuaires Shintô). Ces symboles enflammés servent à guider les âmes des Ancêtres dans leur retour vers l'autre monde, après leur bref passage dans le monde des vivants pendant la période du Obon Matsuri.
Si vous vous demandez avec quoi ces feux sont allumés, la réponse se trouve dans les Gomagi. Les Gomagi sont des plaquettes en bois de cèdre, utilisées pour les prières et les feux sacrés. Sur ces plaquettes, disponibles dans les temples, chacun peut écrire son nom, ses maladies, ses voeux, prières, etc. La veille du Gozan no Okuribi, les Gomagi sont collectés dans différents temples de la ville. Ils seront utilisés pour allumer les feux dans les montagnes.
En fonction de l'endroit où l'on se trouve, on peut admirer l'un ou l'autre des symboles qui brillent au sommet des différentes montagnes, mais la signification reste toujours la même. Tandis que les feux brûlaient tranquillement au-dessus de nous, j'ai pu remarquer deux groupes distincts parmi les spectateurs.
Le premier groupe était constitué de jeunes couples japonais et de touristes étrangers, qui attendaient l'événement avec impatience, la voix haut-perchée, et prenaient des tonnes de photos. Dans l'autre groupe, des Japonais plus âgés attendaient en regardant le Daimonji (l'une des cinq montagnes) d'un air plus grave.
Malheureusement, je faisais d'abord partie du premier groupe. J'étais d'ailleurs en train d'essayer de me frayer un passage à travers la foule pour avoir une meilleure vue, quand je suis tombé sur ce vieil homme. A part moi, personne ne semblait l'avoir remarqué. "A qui est-il en train de dire adieu? Il devait aimer profondément cette personne..."
Questions et pensées s'entrechoquaient dans ma tête. Et même si mes interrogations silencieuses sont restées sans réponse, une chose est sûre : à ce moment, j'ai compris la réelle signification du Gozan no Okuribi. En plus d'une démonstration de respect, de gratitude et d'amour en lien avec le culte des ancêtres, cette tradition vous rappelle, chaque année, le départ des êtres aimés.
Il y a quelque chose de magnifique dans la résilience de ces personnes qui revivent ces séparations encore et encore. Une souffrance superbe que peu de personnes peuvent endurer. J'espère du fond du coeur que cette tradition unique, cette culture si propre au Japon, se perpétueront à travers les âges.