Le peuplement d'Hokkaido est fortement lié à l'histoire des prisons au Japon, débutées sur inspiration européenne dans les premières années de l'ère Meiji. En 1890, Abashiri accueille ainsi une cinquantaine d'hommes enchaînés, qui vont œuvrer à bâtir la première structure d'enfermement du pays. Un grand musée y commémore aujourd'hui cette histoire.
Dans l'imaginaire collectif japonais, Abashiri évoque peu de chose. Le froid d'Hokkaido, la pêche du saumon, un territoire lointain et désolé. Et la prison. Le nom du village des côtes la mer d'Okhotsk a longtemps résonné comme une menace, pour les opposants politiques notamment. Menace de travail forcé, de cellules chauffées a minima et d'une longue isolation hivernale.
L'histoire commence avec l'ouverture du pays au monde extérieure, au début de l'ère Meiji. Les Japonais, plutôt adeptes de châtiments corporels et d'exécutions, découvrent la logique de l'isolation hors de la société. Dans le même temps, la deuxième moitié du 19e siècle est celle des conflits territoriaux entre les puissants : le gouvernement japonais réalise qu'il doit occuper franchement l'île septentrionale d'Hokkaido avant que les Russes ne s'y intéressent de trop près.
Mais peu de colons sont enclins au départ pour les sauvages terres du Nord, sans infrastructures, recouvertes de neiges les trois-quarts de l'année et densément peuplées d'ours. L'idée germe alors. Le territoire est parfait pour une prison. Peu de possibilités d'évasions, et beaucoup de travail à envoyer pour développer les premières infrastructures du territoire.
Cinquante premiers prisonniers arrivent ainsi entre la mer d'Orkhotsk et le lac d'Abashiri en 1890, abattent de grands arbres sous la direction de leurs gardiens et construisent un premier site. Puis cinquante autres arrivent, et rapidement, une prison pouvant accueillir 1000 prisonniers sort de terre.
Au final, plusieurs sites seront développés sur cette côte nord. Et les prisonniers – beaucoup y laisseront leur vie – construisent les premières routes d'Hokkaido, le chemin de fer puis l'aéroport. Au XXe siècle, plusieurs bâtiments de cette histoire carcérale ont été regroupés sur le site d'Abashiri, en vue de l'ouverture du musée.
S'y croisent la plus vieille prison du Japon, 660 m² entièrement en bois des années 1890, la prison à cinq branches copié sur celle de Louvain (Belgique) en 1912, et de nombreux personnages de cires pour illustrer la vie quotidienne des prisonniers. Les Japonais, en empruntant le modèle occidental de prison, l'ont adapté à leurs goûts : les prisons autarciques produisaient miso et sauce soja. Et plusieurs tonnes de pickles agrémentaient les repas des enfermés, qui avaient quand même droit à leur bain quotidien.